Article modifié le 06 juin 2022
Un cri d’alerte
Contre la marchandisation du soin psychique
Dans une tribune parue dans Le Monde le 29 mars 2022, un collectif de psychologues s’est exprimé fermement : « Nous sommes des psychologues et nous ne serons jamais des vendeurs de soins psychiques ». Leur message met en lumière une tendance inquiétante : la transformation progressive du soin psychique en un marché de services, régi par des logiques économiques plutôt que par une éthique du soin.
Cette tribune dénonce particulièrement les dispositifs institutionnels qui encouragent cette mutation, mais aussi l’apparition d’acteurs commerciaux qui s’emparent de la souffrance psychique comme d’un créneau lucratif. À travers cette réflexion, les psychologues rappellent la nature singulière de leur métier, fondée sur la parole, le temps et la subjectivité, et non sur des logiques de rendement.
I. Un cri d’alerte contre la marchandisation du soin psychique
Les signataires de la tribune réagissent au dispositif gouvernemental « MonPsy », présenté comme une avancée dans l’accès au soin psychologique. Mais pour eux, ce dispositif traduit une logique gestionnaire dangereuse : tarifs imposés, nombre limité de séances, procédures standardisées. En d’autres termes, le soin psychique est réduit à une prestation standard, semblable à une consultation technique.
Or, le travail psychique ne se résume pas à une série d’objectifs mesurables. Il s’inscrit dans un temps singulier, celui de chaque sujet, et dans une relation de confiance qui ne peut être tarifée ou “optimisée” comme un service marchand.
II. La relation thérapeutique n’est pas une prestation
Au cœur de la critique figure une idée fondamentale : la relation psychologue-patient n’est pas une relation commerciale. Elle repose sur une éthique, une écoute, une implication humaine. La réduire à un contrat de prestation revient à altérer sa nature même.
Les psychologues refusent ainsi d’endosser le rôle de « prestataires de soins à bas coût » au service d’un système de santé défaillant. Ils soulignent qu’ils n’ont ni à vendre leur pratique, ni à la calibrer selon des critères extérieurs (productivité, efficacité supposée, rendement).
III. Les dangers d’une logique marchande appliquée au psychisme
Uniformisation et perte de la singularité
Le soin psychique s’adresse à des sujets uniques, avec des histoires et des temporalités singulières. Une approche industrialisée tend à gommer cette complexité au profit de protocoles standardisés.
Pression à la “performance thérapeutique”
Lorsque le soin devient une prestation remboursée selon des critères économiques, les thérapeutes peuvent être incités à montrer des “résultats rapides”. Cette logique est incompatible avec les processus psychiques, souvent longs, non linéaires et imprévisibles.
Dévalorisation de la parole et du transfert
Dans cette logique, la parole du patient est réduite à un “symptôme à traiter” plutôt qu’à une dimension centrale du soin. Le transfert, la relation et la subjectivité risquent d’être relégués au second plan au profit de mesures comptables.
Porte ouverte à des acteurs privés commerciaux
Enfin, en ouvrant le champ du soin psychique à la logique de marché, on favorise l’émergence de plateformes privées qui proposent des services “clé en main” de santé mentale. Ces acteurs privilégient la rentabilité, parfois au détriment de la qualité clinique ou de l’éthique.
IV. Défendre la spécificité du soin psychique
Face à cette évolution, les psychologues signataires réaffirment leur position : leur pratique n’est pas une marchandise mais une **rencontre entre deux subjectivités**, fondée sur la confiance, la temporalité propre et l’écoute.
Ils appellent à défendre cette spécificité contre les tendances à la réduction gestionnaire et contre l’assimilation du soin à une offre standardisée. C’est aussi une façon de protéger les patients : quand le soin devient un produit, ce sont souvent les plus vulnérables qui en pâtissent.
Conclusion
La tribune du Monde est une prise de parole forte : elle rappelle que le soin psychique n’est pas un secteur économique comme un autre. Le transformer en produit marchand, c’est prendre le risque d’appauvrir la pratique clinique, de fragiliser les patients et de diluer la responsabilité des soignants.
Défendre la singularité du soin psychique, c’est défendre une certaine idée de la parole, de la rencontre et de la liberté subjective — à rebours de la logique du marché.
Source : Tribune publiée dans Le Monde, « Nous sommes des psychologues et nous ne serons jamais des vendeurs de soins psychiques », 29 mars 2022. Disponible sur le site du Monde.